Conseil des Communes et Régions d'Europe (CCRE)
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Gouvernance et citoyenneté

Avenir de l'Europe - 17.07.2018

Rencontre avec Lucien Sergent, membre fondateur du CCRE
Le premier et dernier témoin de la création du Conseil des Communes et Régions d'Europe nous convie à un voyage dans l'Europe de l'après-guerre.

Que nous enseigne le passé sur notre avenir ? La réponse dans cet entretien exclusif.

Qu’est-ce qui vous a incité en 1951 à créer la première organisation d’élus locaux européens ?

C’est le danger soviétique. Deux pays se trouvaient dans une situation particulièrement délicate à cause de la présence d’un parti communiste très fort au lendemain de la guerre : l’Italie et la France. Au départ je n’étais pas très pro-allemand. J’ai participé le 11 novembre 1940 à la première grande manifestation de résistance à la collaboration et à l’occupant qui rassembla plusieurs milliers d’étudiants sur les Champs-Elysées. J’étais étudiant à la faculté de Droit. J’avais été élève de l’Ecole Primaire Supérieure qui deviendra le Lycée Jean-Baptiste Say ; j’avais eu comme professeur d’histoire et de géographie Jacques Ancel, l’un des pères de la géopolitique française, qui m’influença énormément  et qui était contre la théorie allemande de l’ « espace vital ». Jacques Ancel avait été combattant à Verdun ; il sera déporté à Drancy où il mourra en 1942. Il portait l’Etoile jaune et je fus le dernier à le voir avant sa déportation. Mon père aussi avait fait 3 ans de service militaire et 4 ans et demi de guerre. Il détestait les Allemands. Il était Gaulliste ; et moi aussi. Voici pourquoi je n’étais pas très pro-allemand au départ.

De plus j’ai toujours été pro-anglais. Je crois que la démocratie est née en Grande Bretagne et je vous dirai pourquoi : d’abord pour la Magna Carta , après pour l’Habeus Corpus, le texte selon lequel nul ne peut être envoyé en prison sans l’avis d’un juge ; il faut voir qu’en même temps Louis XIV en France envoyait les personnes en prison avec une simple lettre de cachet. Il y a une troisième raison pour laquelle j’ai toujours été pro-Anglais, c’est qu’un siècle avant la révolution française vous aviez déjà, en Angleterre, un gouvernement qui était responsable devant le Parlement. Enfin, je vous dirai que j’ai toujours été très admiratif de Churchill. Voilà toutes les raisons pour lesquelles j’étais plutôt pro-anglais que pro-allemand après la guerre. Mais il fallait sauver l’Occident face au danger soviétique. J’ai toujours été un libéral ; j’ai toujours été contre l’économie dirigée. Et c’est ainsi que j’ai décidé de participer au projet européen et d’adhérer à la création du Conseil des Communes d’Europe, qui deviendra Conseil des Communes et Régions d’Europe en 1984.

Quel état des lieux dressiez-vous à l’époque du respect des principes de la démocratie et de l’autonomie locale ?

Parmi les fondateurs du CCRE il y a Jean Bareth, bien sûr, et puis Voisin (dont le vrai nom était Bourgeois) qui était un Vichyssois ! Je crois qu’il s’est précipité pour faire les Statuts d’une organisation fédéraliste ! Je ne suis pas un héros, mais comme je vous ai dit j’ai participé le 11 novembre 1940 à la Manifestation sur les Champs Elysées contre l’occupant Allemand. Ce fût une grande manifestation étudiante contre les Allemands et Hitler n’a rien fait parce que il ne voulait pas d’histoires avec les Français car en réalité il avait obtenu de Pétain de qu’il voulait… Pour revenir à l’après-guerre : la situation en France en 1951 n’était pas brillante vous savez… Il a fallu attendre le retour du général de Gaulle pour rétablir les choses car auparavant il était impossible d’avoir un gouvernement stable.

Pour ce qui est de l’autonomie locale, la situation n’était pas brillante non plus… Les Français avaient besoin d’abord d’avoir un bout de pain à manger. C’était la priorité, car notre économie devait se relever de la guerre.

Et aujourd’hui, quel état de lieux dresseriez-vous ?

C’est difficile à dire. Je pense que le Président de la République française mène une politique variable. Je dirais que la situation est mitigée. L’on veut réformer ce pays. Le Président de la République veut réformer le pays ; mais vous savez : la France est un pays difficile à réformer ! Dans notre histoire il y a eu deux grands hommes : le Cardinal Richelieu et le Général De Gaulle, qui ont réussi à faire bouger les choses en France. Mais ce n’est pas évident de faire bouger les choses en France !

Pour ce qui est de l’autonomie locale : elle n’est pas parfaite non plus aujourd’hui, malgré les progrès accomplis. Il y a encore beaucoup de progrès à accomplir pour atteindre l’autonomie locale que nous avons souhaité dans la Charte des Libertés Communales, en 1953, et que nous voulons encore. Il faut que le CCRE continue à travailler pour cela.

En tant que membre fondateur du CCRE, de quoi êtes-vous le plus fier dans votre parcours personnel ?

C’est d’avoir rapproché les hommes ! Et toujours, aujourd’hui, je crois tout d’abord en l’éducation. Car c’est seulement par l’éducation qu’on peut rapprocher les hommes. Grâce au CCRE nous avons rapproché les hommes, par les jumelages, par les échanges, ce qui n’était pas facile au lendemain de la guerre, surtout au début, quand les pays s’étaient déchirés entre eux !

Je vous ai dit auparavant pourquoi nous avons créé le CCRE en 1951 ; mais j’ajouterai une chose : c’est que je crois à la civilisation européenne, qui a engendré une grande littérature, une philosophie, une musique ; je considère que ce sont l’héritage gréco-romain et la religion judéo-chrétienne qui sont à la base de notre démocratie. Il faut savoir cela et le garder à l’esprit ! Tout cela est la base du projet Européen, qui est un projet unique !

Quelles sont, selon vous, la ou les plus grandes réalisations du CCRE ?

La réponse est difficile car le CCRE a été une organisation qui a contribué à beaucoup de choses dans le processus de construction européenne. Mais comme vous l’aurez déjà compris, à mon avis, la plus grande réalisation auront été les jumelages et les échanges, car sans cela nous n’aurions pas pu progresser dans le rapprochement des Européens. Je crois en la culture. Il faut y croire car il faut comprendre ce que sont les autres, comment sont les autres Européens si on veut vivre ensemble et partager un même projet. Le CCRE a beaucoup contribué à faire rencontrer les Européens, à se connaître, à se rapprocher. Il a ainsi contribué à rapprocher les gens, les citoyens. Mais pour pouvoir réussir dans cela la culture est essentielle car si l’on connaît la langue, la poésie, la littérature, l’histoire alors on peut comprendre vraiment l’autre et sa civilisation. Il faut aujourd’hui continuer à œuvrer dans ce sens car il y a encore un immense travail à faire !

Qu’est ce qui justifie aujourd’hui l’existence d’une telle organisation ?

C’est toujours la même chose ! Le travail que le CCRE a voulu et commencé en 1951 n’est pas accompli, n’est pas terminé ! Il faut continuer à rapprocher les hommes. On a une œuvre immense à réaliser, à compléter. On se méfie encore de l’étranger ! Il faut lire Albert Camus et son chef d’œuvre « L’Etranger ». Il est important que le CCRE travaille encore pour promouvoir les échanges et les jumelages. Le CCRE doit continuer à travailler pour une Europe unie et comme vous le voyez nous ne sommes pas dans une période facile. Il faut travailler sans arrêt. Ne jamais penser que les choses sont atteintes et réalisées pour toujours ! Surtout maintenant que l’Europe ne vit pas un moment facile !

Que pensez-vous de la situation politique actuelle de l’Europe, marquée à la fois par la montée du nationalisme et du populisme, et l’émergence de mouvements animés par des convictions réelles sur l’Europe ?

Je suis très inquiet ! Regardez ce qui se passe en Hongrie, en Pologne : c’est inquiétant, très inquiétant ! Les Tchèques mêmes qui au départ étaient des fervents Européens… C’étaient des peuples très Européens ; les phénomènes auxquels nous assistons maintenant ne peuvent que nous inquiéter. Il faut se battre pour que plus jamais l’Europe ne connaisse ce qu’elle a connu, que plus jamais il y ait des guerres sur le sol européen, comme dans le passé ! Il faut une Europe unie car c’est cette Europe qui nous a garanti la paix ! Mais j’insiste : il faut croire à l’éducation et la culture. Elles sont fondamentales ! Il faut éduquer les peuples à l’Europe et à l’idée Européenne ! C’est sur quoi il faut travailler aujourd’hui face à la montée des nationalismes et des populismes !

L’Europe a toujours été la chasse gardée des Etats. Pouvons-nous espérer aujourd’hui que les territoires forment la base du projet européen ?

Oui ! Tous les Etats ont essayé de dominer l’Europe : il y a eu le Saint Empire Germanique, puis les Français ont essayé avec Napoléon et nous sommes sortis épuisés, en 1815. Vous imaginez : la Grande Armée était composée de 500 000 hommes dont 250 000 Français ; pas un seul Français ne reviendra des conquêtes Napoléoniennes. Pour l’époque c’était de l’ordre de l’incroyable !

Aujourd’hui les Etats sont de plus en plus fragiles ; il faut que les Etats Européens se rassemblent et  s’unifient pour être plus forts, pour que le continent européen soit une puissance, car sinon le pays qui dominera le monde sera la Chine. Il faut que les Européens s’unissent. Mais c’est difficile. Alors les collectivités locales doivent coopérer, travailler ensemble pour faire rencontrer les peuples et qu’ils n’aient pas peur les uns des autres mais plutôt comprennent qu’il faut vivre et œuvrer ensemble, être unis. Si l’on veut que l’Europe reste une puissance et libre, il faut qu’elle soit unie !

A quoi ressemblera l’Europe dans 20 ans ?

Oh, c’est une question difficile que vous me posez ! C’est difficile à dire ! Si les Français continuent à se conduire de la même manière on sera très faible et on ne comptera pas grande chose dans le monde !
 Le Président actuel a raison : il faut faire des réformes pour s’adapter au monde d’aujourd’hui. Mais c’est un grand défi et comme vous le voyez pour l’Europe c’est difficile. Donc j’ai des difficultés à imaginer comment sera l’Europe dans 20 ans !

Édouard Herriot, l’un des maires fondateurs du CCRE, disait : « tout divise les Etats et tout unit les communes ». Peut-on appliquer cette maxime à l’échelle mondiale ?

Comme toujours, je reviendrai à l’éducation. Il faut promouvoir l’éducation et la connaissance de l’autre à l’échelle mondiale aussi. Il faut essayer. Ce n’est pas simple ; mais il faut essayer. Il ne faut pas se faire d’illusions. On voit bien aujourd’hui les difficultés et les obstacles. Cependant il faut continuer à travailler, à se battre, à croire dans les échanges et à faire en sorte que les gens se rencontrent et se parlent au niveau européen et au niveau mondial.

Avez-vous un message à adresser aux décideurs politiques actuels ?

Je veux leur dire que la chose essentielle c’est de se comprendre. Il faut continuer à travailler ensemble pour réaliser le grand projet européen. Il faut continuer à se battre et à œuvrer pour le projet européen. Continuons de rapprocher les Européens, les êtres humains, de se comprendre pour vivre ensemble, ne pas tenir compte des différences de culture, de langue... Continuons à travailler pour une Europe unie dans la diversité, l’Europe de la paix ! Voilà le message que je veux adresser aux décideurs politique d’aujourd’hui et au CCRE !

 
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